Laboratoire d’accélération: l’innovation pour faire face aux défis de développement en Haïti

Par Pierre Antoine, Responsable d’Expérimentation, AccLab, Haïti

2 mars 2021

© Shutterstock.

Changement climatique, instabilités politiques, extrême pauvreté, conflits prolongés et la pandémie COVID-19 sont autant de défis qui menacent l’humanité et la planète en ce début de 21ème siècle.

Haïti n’est pas exempt de ces calamités; car il est situé dans la région de l’Amérique Centrale et de la Caraïbe, l’une des plus exposées aux phénomènes naturels dangereux de la planète (OXFAM, 2009). Selon la Banque mondiale en 2020, plus de 90% de la population haïtienne est vulnérable aux catastrophes naturelles. Sur le plan économique, ce niveau de vulnérabilité a été fortement ressenti à travers les pertes de 32 % du Produit Intérieur Brut du pays générées en 2016 par l’Ouragan Mathieu.

Le PNUD, à travers son plan stratégique 2018-2021, conscient de la complexité du développement, s’est engagé à aider les pays à mettre en place des programmes et politiques dans la perspective de l’Agenda 2030.

Malgré les progrès réalisés en matière de réduction de pauvreté dans le monde, il en ressort que les défis demeurent ou se complexifient avec le temps. Selon le Rapport sur le développement humain 2020, 41.3 % de la population haïtienne continue de vivre en situation de pauvreté multidimensionnelle extrême; le taux d’intensité des privations dont souffrent les populations en situation de pauvreté est de 48.4 %.  

En effet, ces problèmes ne réagissent pas à des plans de croissance économique et de développement bien conçus ou à un cheminement linéaire qui nous dicte l’ensemble des étapes vers le progrès économique et social. La rapidité, la dynamique et la complexité des enjeux d’aujourd’hui sont fondamentalement différentes de celles d’hier et ne sera pas comme celles de demain.

Les expériences conduites au Mexique, au Ghana et au Soudan montrent que les innovations locales dirigées par les utilisateurs eux-mêmes produisent de meilleurs résultats en termes de qualité, de faisabilité et d'impact social. Fort de ce constat et de ses expériences en matière d’appui au développement local, le PNUD a lancé 92 laboratoires d’accélération dans 116 pays, dont Haïti, en vue des solutions innovatrices locales. C’est le plus vaste réseau mondial d’apprentissage qui existe pour faire face aux défis de développement.

Pour Haïti, le laboratoire s’appuie sur une équipe de quatre membres – soit un cartographe de solutions, un explorateur, un expérimentateur et un point focal qui vient en appui aux trois premiers. Inspirée de l’approche d’innovation ascendante détaillée dans le blog d’Angelica Gustilo et Eduardo Gustalo, le laboratoire s’immergera dans les communautés pour mieux comprendre comment elles vivent les problèmes de tous les jours et leur stratégie développée pour y faire face. Les éléments de solutions tirés feront objet tour-à-tour d’études en profondeur (exploration) et de tests d’expérimentation.  

L’approche du laboratoire d’accélération se démarque de la logique traditionnelle de mise en œuvre de projets. Elle considère que les systèmes sociaux n’évoluent pas de manière prévisible ou linéaire assumant que « demain sera bien différent d’aujourd’hui ou hier ». Gina Lucarelli, dans son blog what does success look like for UNDP’s Accelerator labs? montre la grande différence entre ces deux approches : la logique traditionnelle part d’une situation courante vers une situation désirée ou souhaitée en prévoyant l’ensemble des étapes tandis que le laboratoire d’accélération veut faire face aux défis avec une logique plutôt radiale (radial logframes en anglais) qui assume que les défis de développement ou de sociétés peuvent évoluer dans plusieurs sens qui ne sont pas la plupart du temps prévisibles. Une intervention pour résoudre un problème donné est susceptible d’en générer de nouveaux. Du coup, l’approche du laboratoire se veut très flexible et adapte continuellement les solutions aux défis qui sont, eux-mêmes, en constante évolution.

Selon Gina Lucarelli, la conception des laboratoires s’inscrit dans l’idée de créer un modèle qui repose sur l’improvisation (adaptive) ascendante inspirée de l’ouvrage de Yuen Yuen Ang : « Comment la Chine a évité le piège de la pauvreté ou en anglais, how China escaped the poverty trap». Ce modèle part de l’idée principale que l’orientation ou l’initiative vient du centre et alors que la périphérie improvise, ce qui indique, donc, les chemins vers la résolution des défis sont diversifiés et ne sauraient être le fruit d’une approche d’intervention linéaire.

Une approche d’intervention basée sur l’intelligence collective

Par conséquent, le laboratoire utilise l’intelligence collective pour faire face aux défis de développement. L’idée est qu’ensemble ou collectivement, nous sommes plus intelligents. Les recherches scientifiques ont prouvé que les groupes travaillant sur un problème quelconque font mieux qu’un individu travaillant sur le même problème quel que soit son niveau de génie ou d’intelligence. Il en ressort que l’intelligence est distribuée collectivement et que chacun de nous en détient une partie qui, mise en ensemble, permet d’avoir une vue d’ensemble d’un problème et les possibles voies vers sa résolution (Nesta, 2020).

Certains laboratoires commencent à montrer la voie à suivre et influence les décisions politiques dans quelques pays qui, comme nous en Haïti, s’accrochent à l’initiative, certes du PNUD, mais qui prête une plus grande attention aux solutions innovantes locales.  A l’instar d’autres pays qui expérimentent cette initiative, le laboratoire du PNUD Haïti fera corps avec les communautés locales et sera attentif à leur innovation et leur façon de faire pour affronter les problèmes de tous les jours.   

Références

NESTA, (2020), the collective intelligence playbook, vo.o1, p.14, Collective Intelligence Design Playbook (beta) | Nesta.

UN, (2017), Rapporteur spécial des Nations Unies pour le Droit au Développement, une introduction au mandat, P. 5., HCDH | Rapporteur spécial sur le droit au développement (ohchr.org).

OXFAM, (2009), Cartes et étude de risques, de la vulnérabilité et des capacités de réponse en Haïti, http://docplayer.fr/8328468-Cartes-et-etude-de-risques-de-la-vulnerabilite-et-des-capacites-de-reponse-en-haiti.html consulté en Avril 2016.